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Cineflower
10 octobre 2008

Gerry( Gus Van Sant, 2002)

gerry            Oui j'ai gentiment chambré le vénéré Gus Van Sant, ici et ; oui, le mot "marlou" a déjà dû effleurer mes lèvres à son sujet à l'évocation de sa trilogie expérimentale, pourtant l’apogée de sa carrière. Je précisais pourtant bien, ici encore, que ces piques ne remettaient pas en question la valeur de ces films. Juste qu'il était incompréhensible de dérouler sans cesse le tapis rouge pour monsieur Van Sant alors que Dieu, qui dépasse la simple source d'inspiration, devait se contenter de l'escalier en colimaçon et de l'estime de quelques illuminés. (1) Mais reconnaissons à l'américain d'avoir su s'épanouir dans la veine existentielle du hongrois. Il en est même ressorti un chef-d’œuvre: Gerry.

            Dans l'imaginaire collectif, le Grand Ouest a longtemps représenté avec le western le territoire de tous les possibles. Gus Van Sant en fait lui le théâtre d'une aventure où plus rien n'est possible. Dans l'infini du désert, l'homme réalise sa finitude, sa solitude et son impuissance. Gerry pourrait ainsi symboliser l'aventure terminale, à la fois anti-western et néo-western. L'homme est libre mais impuissant. La sensation initiale de liberté prend vite des allures de calvaire absurde - voir l'épisode surréaliste du caillou - . Cette histoire de deux amis qui se perdent dans le désert prend des atours mythologiques avec le dépouillement progressif de la mise en scène et la sublime partition d'Arvo Pärt. C'est hypnotisant comme du Béla Tarr. La longueur des plans, l'ascétisme de la narration comme l'usage de la bande sonore - musique comme bruits de pas entêtants - renvoient directement au divin magyar. Sans lui, pas de Gerry. (2) Pourtant le film arrive à s'affranchir du maître.

            Plus exactement, il en propose une version lumineuse. Point de pesanteur ici, les plans-séquence de Gus Van Sant sont aussi solaires que ceux de Béla Tarr sont attirés par le sol. Le décor n'est pas étouffant mais quasi-inexistant, virginal, s'effaçant petit à petit pour ne laisser le champ qu'aux deux corps. Le formidable plan-séquence où les corps sont progressivement absorbés par le blanc immaculé de l'aube est une expérience sensorielle formidable. La prodigieuse photographie et les rares discussions  - vides de sens donc existentielles - confondent réalité et fiction. Rêve, espace mental schizophrénique, différentes interprétations traversent l'esprit, aussi porteuses les unes que les autres. Perdus dans le paradis originel, dans l'anonymat le plus profond, les deux hommes, à la relation ambigüe, refont l'histoire du monde, celle du fratricide fondateur de la civilisation. La bible et le fusil ont souvent fait copinage dans le Grand Ouest (mais pas seulement). Si Béla Tarr nous montre l'imminence de l'apocalypse, Gus Van Sant, lui, retourne plutôt aux origines du monde.

(1) Dieu = Béla Tarr, évidemment.

(2) On pourrait aussi déceler l'influence de la pensée d'Antonioni... comme chez Béla Tarr.

                                                        Ben Evans (D.W. : pas vu / B.E. : indispensable)

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