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Cineflower
11 octobre 2008

Lenny (Bob Fosse, 1974)

lenny            Neger, neger, neger... Au cœur d'une foule à l'enthousiasme médusé, Lenny Bruce apostrophe un noir à quelques centimètres de lui, les yeux dans les yeux, le qualifiant de nègre à de nombreuses reprises. Impertinent, grinçant, vivant, drôle, politique, en prise directe avec son public et toujours au bord de la rupture, le stand-up trouvait un accomplissement inédit - la légende veut même que l'artiste éponyme en fût l'inventeur -.

            Son bagou aurait pu suffire à faire de Lenny un brillant amuseur de plus, et à subvenir à ses besoins. Les circonstances en auront décidé autrement. Infantile et autodestructeur, emporté dans les volutes artificielles d'un monde du spectacle trop cynique, il se trouve un peu malgré lui investi du rôle de martyr engagé, mi-héros mi-escroc. Un mélange de conviction et d'opportunisme fera de sa perpétuelle quête de reconnaissance - symbolisée entre autres par sa libido dévorante - une croisade politique donquichottesque. Ses chevaux de bataille: l'hypocrisie du puritanisme américain, la censure qui charge les mots d’une violence qu’ils n’ont pas à l’origine, la manipulation des foules par les images et les médias. Sa triste fin en scellera la métaphore christique, entretenue par le look barbu de l'artiste dans ses dernières années.

            L'homme est mort, son œuvre a contribué à l'évolution des mentalités. Aujourd'hui, on montre tout, on parle de b**e dans toutes les phrases, l'obscène a envahi la place. L’Amérique de la fin des années 60 dont le film fait le portrait en creux n’est plus. Et pourtant, des dizaines d'années après, la vision de Lenny reste un choc. Elle résonne  toujours comme un combat actuel, ou le rappel nécessaire d'un message intemporel. C'est que la perfection de la mise en scène de Bob Fosse irradie d'une modernité toujours plus étonnante. Alternant les langages cinématographiques et télévisuels, le cinéaste joue avec les perceptions de la fiction. Il limite au maximum les apports du non-diégétique. Les interviews désarmantes succèdent aux tranches de vie chronologiques, selon une construction que l’on croirait inspirée de Citizen Kane, dans un même noir et blanc somptueux au grain méticuleux. Aussi pudique avec son héros que révélatrice des masques baroques d'un public de cirque devant lequel Lenny se livre sans retenue, elle en prolonge le discours revigorant, le réactualisant même à chaque vision.

lenny3            Impossible de parler de l’impact du film sans évoquer la prestation hallucinante de ses comédiens. Dustin Hoffman, qui enchaînait alors les chefs-d’œuvre et les compositions époustouflantes, y trouve peut-être le plus grand rôle de sa fabuleuse carrière. Chance que n’aura pas eue Valérie Perrine, pourtant primée à Cannes en 1974 pour cette prestation bouleversante. Il est incompréhensible qu’on l’ait par la suite laissée sombrer dans l’oubli, sinon jouer les faire-valoir dans une franchise à cape rouge. Cet idéal couple de cinéma irradie la pellicule à chaque instant. Les barrières tombent, on est désarmé.

            Lenny, l'homme, n'utilisait "que des mots". Mais son message était nécessaire. Le film n'est qu'un film. Mais il l'est tout autant, nécessaire. Œuvre intimiste et politique bouleversante, Lenny ne jouit pourtant que du statut culte de son ignorance injustifiée. Il ne serait peut-être pourtant pas démesuré de le considérer comme l'une des plus belles biographies de l’histoire du cinéma (avec, plouf plouf, Raging Bull, Ed Wood et Edvard Munch).

                                                                      Ben Evans (D.W. :  / B.E. : vital)

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