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Cineflower
11 octobre 2008

Pickpocket (Robert Bresson, 1959)

pickpocket            C’est un film qui s’entend avec la gorge. (1) Déconcertant et pourtant intime. Faussement monocorde et pourtant constamment parcouru de vibrations intenses. Au détour de chaque plan, de chaque phrase, de chaque geste, la vie y surgit, impromptue, bouleversante. La voix-off a été inventée pour Pickpocket. Ou par Pickpocket.

            C'est un film qui donne la foi, à déplacer des montagnes. Une foi en le cinématographe que chaque nouveau film de Robert Bresson professe avec toujours plus d'ardeur. On ne va pas revenir ici sur les caractéristiques du cinéma bressonnien, préférant inciter à la (re)lecture des indispensables Notes sur le Cinématographe écrites par le metteur en scène lui-même. Notons seulement que Pickpocket en est à la fois le parangon et l’acmé. (2) Un film à lui seul mille fois plus novateur que toutes les Nouvelles Vagues du monde. Robert Bresson, poète de l'oxymore, fait rimer dans un même élan répétition avec spontanéité, dépouillement avec richesse, avec l'évidence la plus troublante.

            C'est l'œuvre d'un albatros émérite. Artiste le plus intègre qui soit, Robert Bresson est peut-être le cinéaste à avoir de son art la conception la plus haute, la plus pure, la plus détachée de toute contingence matérielle et/ou sociale… avec Andreï Tarkovski (uniquement pour le côté matériel), l'un de ses plus grands admirateurs. Son ascèse pourtant essentielle l'écarte du grand public et le réserve malheureusement aux cercles de cinéphiles chanceux. Il est pourtant rassurant, et totalement justifié, que tous les plus grands cinéastes qui aient suivi aient admiré cet homme, son engagement et sa filmographie. (3) Une filmographie d'ailleurs insensible à l'usure du temps. Dépouillement, photographie glacée, postsynchronisation pointue, non-jeu des modèles, etc. Toute la mise en scène la protège d'un vernis étincelant. Que ses films fussent tournés en 1950 ou au début de ce nouveau siècle n'aurait rien changé; ce sont des films intemporels, ils sont avec nous et le resteront pour toujours, étoiles éclairant d'une évidence unique l'histoire du 7ème Art. Robert Bresson a une conception du cinéma à l'opposé de toutes les conventions traditionnelles. Mais comme le dit Martin, le héros de Pickpocket: "Puisqu'il est déjà à l'envers, ça le remettra peut-être à l'endroit".

pickpocket2            C'est un songe réel, vrai et invraisemblable, lourd et gracieux. Toujours d'une limpide évidence, donc d'une certaine facilité apparente mais trompeuse. Mais la pureté de son style et musicalité de son montage élégiaque sont uniques. Ca en est choquant, à chaque instant.

            C'est un film qui parle sans penser. Qui agit sans marteler. Robert Bresson a toujours refusé tout psychologisme. (4) Pickpocket n'y déroge pas, il n'est que foi et acte. La vie comme expérience, unique et ultime. Douloureuse aussi, tant la communication et la compréhension semblent difficiles. Avec, ici, l'une des plus belles représentations du passage de l'adolescence à l’âge adulte. La rébellion comme expression du désir d'appartenance. Pickpocket, c'est le labeur transcendé. Dans ses scènes de vol, parmi les plus beaux moments de pure grâce cinématographique. (5) Comme ailleurs, où le hasard de la vie jaillit du travail minutieux de la mise en scène. Ou nous mène à une destination non visée par les routes empruntées. La caméra humaine (50mm)  traque, épie, perce. Le corps comme reflet de l'âme. Et le film à la fois pain et ambroisie. Vital et divin. Acte et foi.

            C'est, aussi, un ouvrage modeste et prétentieux. L'orgueil d'une possible indépendance totale vis-à-vis des autres arts y côtoie l'humilité de l'éternel chercheur insatisfait. Il est aussi difficile de rendre un juste hommage au film que de concilier ces deux extrêmes. Peut-être, simplement, en suggérant que Pickpocket n'est que le plus beau film du monde, pour l'instant.

(1) En référence à La Condition Humaine d’André Malraux, lequel écrivait qu’on entendait sa propre voix avec sa gorge.

(2) Même si la radicalité du style bressonnien s’affirmera toujours plus dans la suite de la filmographie du maître.

(3) Les admirateurs de la Nouvelle Vague comme ceux qui la dénigrent. (Je pense ici à Maurice Pialat notamment.)

(4) Ce qui, peut-être, a pu faire passer son cinéma pour froid. Le travail sur la bande sonore nous immerge dans la scène, mais toujours en dehors du personnage. Malgré la voix-off. Dehors et dedans, comme dans un rêve.

(5) On notera au sein de la filmographie bressionnienne de la récurrence des mains, incarnation charnelle idéalisée de ce cinéma.

                                                               Ben Evans (D.W. : pas vu  / B.E. : vital)

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