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Cineflower
5 octobre 2008

Un Conte de Noël (Arnaud Desplechin, 2008)

un_conte_de_No_l                Le grand film de la cuvée cannoise 2008 n'a pas eu les honneurs qu'il méritait. Seulement représenté au palmarès par un prix spécial du jury attribué à Catherine Deneuve, Arnaud Desplechin peut légitimement être déçu: sa petite troupe orchestre un conte éclatant, radieux et mélancolique, qui laisse loin derrière les pourtant récompenses suprêmes. Funambule génial, jonglant d'une seule main entre la tradition du muet, la modernité de la Nouvelle Vague et la tradition Hitchcockienne, comme entre théâtre et fiction, le film déploie lentement ses circonvolutions acérées mais troubles. Jalousement tues, les zones d'ombre qui les gangrènent révèleront une part de leur trauma lors de leur rencontre, tout en se gardant d'expliciter la clé du mystère délétère qui les nourrit. D'une impudeur cruelle, ces révélations mettront à jour les dysfonctionnements de la famille selon Desplechin, berceau des rancunes les plus tenaces et des angoisses les plus sourdes, comme des élans d'amour les plus profonds. Pour autant, fussent-ils douloureux ou cordiaux, les liens de famille semblent retenir définitivement leurs proies dans leurs rets. On n'échappe pas à sa famille, semble nous dire le metteur en scène. Et, malgré la dureté inconfortable de certaines relations, personne ne veut d'ailleurs s'en échapper. Le réalisateur n'a pas d'égal pour creuser des portraits fascinants, impertinents et ambigus, magnifiés par des comédiens formidables. (1) Autour d'eux, partout, la mort rôde, second thème majeur de l'œuvre: fantômatique par la réminiscence d'un enfant, d'un frère ou d'une femme perdue, aguicheuse pour le jeune Paul Dédalus en mal de repères, menaçante pour la vie de la patriarche familiale, elle s'insère et alimente toutes les strates du récit. Le plus grand tour de force du film est alors de ne pas se laisser étouffer par cette dernière. Arnaud Desplechin maîtrise l'art du contre-pied et aborde suivant les scènes la morbide question d'un ton déférent, burlesque ou cynique. Comme lors de cette impensable scène de calcul mathématique des chances de survie de Junon. D'une délicieuse et subtile musicalité, le montage enchaîne au sein d'une même scène les plans aériens et évanescents, qui enveloppent les personnages et glissent amoureusement sur eux comme les mains d'un pianiste virtuose sur son instrument. La sublime scène d'amour en serait le meilleur exemple. S'affranchissant avec légèreté d'une faucheuse omniprésente, la pellicule se consume de l'intérieur de l'éclat de la vie, au gré d'un artiste à l'espièglerie d'un gamin et l'érudition d'un sage. S'octroyant toutes les libertés (2), le cinéaste présente son film, et le monde avec lui, comme un gigantesque terrain ludique, atteignant presque le stade d'enfant-créateur de la philosophie Nietzschéenne. (3) Tout se joue, survie comme amours, le film est un conte dont les héros (4) sont les joueurs, la vie n'est qu'un jeu. Un Conte de Noël possède la même force provocante que la pensée du moustachu. Vivifiant, stimulant, irrévérencieux. Indispensable.

(1) Mention spéciale au toujours imprévisible Mathieu Almaric et à Emmanuelle Devos, habitués de la famille, ainsi qu'à Chiara Mastrioianni, Jean-Paul Roussillon et la révélation: Laurent Capelluto.
(2) Déroulement chronologique heurté (qui peur d'ailleurs passer inaperçu à la première vision), fermetures à l'iris, césures, faux-raccords, discours face caméra. Le sentiment de joie et de liberté est plus grand que dans son précédent Rois et Reines.
(3) Ce n'est probablement pas un hasard si l'auteur est énoncé dans le film, même s'il s'agit alors d'une autre oeuvre, sa Généalogie de la morale.
(4) En tout cas, les personnages pour lesquels on ressent le plus d'affection.

                                                                                Ben Evans (D.W.: must see  / B.E.: indispensable)

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