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Cineflower
5 octobre 2008

The Dark Knight (The Dark Knight , Christopher Nolan, 2008)

the_dark_knight                The Dark Knight était le film le plus attendu de l'année. Et on n'est franchement pas déçu. Car l'ambition qu'il manifeste, la réussite formelle (1) qu'il affiche et la richesse du scénario qu'il développe sont titanesques. Et je baise mes mots. Les anfractuosités insoupçonnées que l'histoire et les personnages révèlent sont vertigineuses. Mais nous y reviendrons plus tard.
                Car, commençons par le commencement, le film est avant tout une relecture excitante de la mythologie de l'homme chauve-souris au cinéma (2), s'approchant toujours plus de l'idéal espéré. Si l'évolution du personnage remarquable d'Harvey Dent (3) reste malgré tout classique, quoique convaincante et touchante, c'est l'interaction entre le justicier et le bouffon grimé qui trouve le plus grâce à nos yeux, accouchant du secret de polichinelle le plus excitant des comics: ces deux-là existent l'un pour l'autre et l'un à travers l'autre (4). Plus qu'un ennemi, Joker est à la fois la némésis de Batman, un révélateur pathogène de sa part sombre et son double. (5) Ce sont deux freaks, profondément SM (6), jouant de la peur qu'ils exercent, la différence principale résidant dans l'interdit de tuer que s'impose le chevalier noir. Et quand le premier est ouvertement anarchiste, se proclamant "agent du chaos", le second en est également un déclencheur, bien qu'involontaire (en témoignent les "faux-batman" voulant faire justice eux-mêmes). Si le Joker, impavide, incarnation d'un mal originel (7), véritable démiurge, menant en bateau autant les autres protagonistes du film que les spectateurs, s'impose instantanément par sa "droiture" comme l'un des plus grands méchants de l'histoire du cinéma (Dieu que cet acteur va nous manquer), c'est pour mieux souligner les failles incurables de son alter ego, tortueux et torturé. A la fois héros et esclave de la population, le justicier masqué semble désormais subir cette destinée qu'il s'était fixée. Le libre-arbitre devient fatalité, le choix devient devoir. Le cape crusader troque sa carapace de surhomme pour celle bouleversante de Sisyphe moderne. Acceptation ou soumission? Difficile de trancher, tant la détresse affective et morale des personnages est immense.
                Après la morale humaniste vaguement existentialiste du premier opus ("It's not who I am underneath, it's what I do, that defines me."), Christopher Nolan nous plonge en effet dans un abyme infini de perplexité: jusqu'où peut-on aller pour se protéger et protéger les siens? Quelle valeur accorder au sacrifice (au sien comme celui des autres)? La fin justifie-t-elle les moyens? Batman, simple vigilante? Quid de la justice dans le monde moderne? Si chaque question ouvre bien sûr différentes portes, chaque porte débouche ici sur un cul-de-sac. Impossible pour notre conscience de trouver la moindre sortie de secours. The Dark Knight est un film pour masochistes. Un grand film éthique, certes, mais pas un film moral.
                Car la vision de la société par Nolan est d'un pessimisme à faire froid dans le dos. Vision réaliste qui abandonne les oripeaux fantastiques et expressionnistes du l'opus précédent (8), Nolan cherchant plutôt son inspiration du côté des polars de Michael Mann (plusieurs scènes sont flagrantes). Elle montre une société où tout n'est que faux-semblants, tout n'est qu'affaire de manipulation (tous les personnages y ont recours). Manipulation qui semble de toute manière être le seul dark_knight4moyen de réveiller une population apathique, lâche, hypocrite, sclérosée, incapable d'agir, sans avenir. Dieu est mort, ne reste que la corruption. Nul manichéisme, tous les personnages révèlent un côté obscur (9). Surtout, les rares faisant preuve d'un tant soit peu de convictions voient ces dernières irrévocablement ébranlées. Les choix apparents ne sont-ils pas des leurres? Tout n'est-il pas prédéfini? Le Joker est le seul à ne pas pouvoir perdre, car il n'a rien à perdre, détaché qu'il est des autres comme des conventions. Car il est agent du chaos. Et le hasard est la seule chose impartiale et juste. Le reste de l'humanité semble condamné à ses tourments. Folie et raison n'ont jamais paru aussi amourachées. Film noir, tragique, éprouvant (10), The Dark Knight répand inexorablement ses ténèbres anxiogènes. La fin, funèbre et solennelle, n'est en réalité que le crépuscule. On en ressort étouffé, hanté par le cri et les larmes des différents personnages. Why so serious? Parce qu'il n'y a vraiment pas de quoi rire...

                The Dark Knight n'est clairement pas le meilleur film de 2008, n'atteignant pas la (quasi-)perfection de No Country For Old Men, There Will Be Blood, Two Lovers, ou encore Wall-E, pour ne citer que ses rivaux américains. Plus stimulant et attendu impatiemment par les fans du caped crusader depuis maintenant trois ans, il s'impose pourtant peut-être comme LE film de l'année (pour le moment). Film opulent et ténébreux, ce nouveau Batman fait définitivement passer le film de super-héros dans la case adulte, plus de deux décennies après les Burton. On en parlera peut-être plus tard comme le Akira du film de super-héros. Ou peut-être pas. Ou comme le premier "sur-film-de-super-héros", pour évoquer la célèbre formule de Bazin (le "sur-western"). Ou peut-être pas. Moi si.

(1) Evacuons d'entrée les quelques défauts de l'œuvre - car non, The Dark Knight n'est pas un film parfait - : les dialogues sont parfois un poil trop écrits; une ellipse est incompréhensible (quid de la fin de la soirée organisée par Bruce Wayne?); le metteur en scène, doué, cède parfois un peu à l'emphase dans sa mise en scène; et il n'arrive toujours pas à filmer correctement les scènes de combat au corps-à-corps, très rares. On peut espérer que Nolan, après s'être inspiré de William Friedkin pour la monumentale scène de poursuite, en fasse maintenant de même pour les bastons... Voilà, c'est tout! Avec peut-être également l'utilisation parfois un peu pompière de la bonne grosse musique de Hans Zimmer, mais bon, ça reste quand même un blockbuster. Un film épique. Même si, c'est vrai, c'est surtout un film noir.
(2) Je ne peux pas vraiment parler de l'influence des comics sur le film, n'en ayant lu que très peu. Juste souligner celle évidente - et revendiquée - de l'une de ces exceptions, l'excellent Rire et mourir d'Alan Moore (interaction entre Batman et le Joker, contamination réciproque de la folie du monde et des personnages, dessein du Joker de pervertir le meilleur d'entre eux - Gordon dans un cas, Harvey Dent dans l'autre -, etc.).
(3) Ce film est l'occasion d'une révélation: Aaron Eckhart peut être un acteur brillant! Impressionnant même!
(4) C'est la seconde confession jouissive de l'année (après la prise de conscience du dieu de la guerre John Rambo).
(5) L'inoubliable scène de garde à vue est à ce titre magistrale.
(6) Si cela peut sembler moins évident pour Batman, il suffit de voir la scène où il recoud sa blessure, et l'interrogatoire quelque peu spécial qu'il fait subir à Eric Roberts.
(7) Et comme le rappelle Tom Wilkinson dans le précédent film, on a toujours peur de ce qu'on ne connaît pas. Ou de ce qu'on ne comprend pas. Et le Joker est terrifiant. Pour nous comme pour notre héros. Mais il est également responsable des moments parmi les plus comiques du film. Même si le rire se veut jaune, bien entendu...
(8) On pourra ainsi regretter un manque de continuité entre la vision de Gotham des deux films; on n'a pas forcément toujours l'impression d'être dans la même ville.
(9) A part peut-être les deux "vieux". L'âge étant, on le sait bien, synonyme de sagesse. A propos des personnages, on constate qu'ils sont tellement épurés qu'ils en deviennent presque iconiques. Alors qu'ils sont pourtant paradoxalement profondément humains. Leur définition est remarquable, le jeu des acteurs aussi. (Et on ne souligne pas assez à mon goût la performance de Christian Bale.)
(10) Le réalisateur fait preuve d'un sens du montage alterné diabolique.


                                                                                                    Ben Evans (D.W.: vital / B.E.: vital)

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