Still Walking (Aruitemo, Aruitemo, Kore-Eda Hirokazu, 2009)
Une réunion familiale habitée par la mort ancienne de l'un de ses membres. Le sujet de Still Walking est sensiblement voisin de celui du chef-d'œuvre français 2008, Un Conte de Noël. Mais comme souvent, les différences de culture imprègnent la pellicule. A l'impertinence du film tricolore répondent ici une retenue et une humilité toutes nippones. A l'éclatante mise en scène de Desplechin, celle toute en discrétion d'Hirozaku. Le superbe titre, sans ponctuation, témoignait déjà de ce calme ozuien. Le film en sera la preuve. Pour autant, la mort est bien prégnante. Elle inhibe les comportements et étouffe les personnages au moyen de cadres régulièrement resserrés. Le fantôme du défunt frère n'a pas vraiment quitté la demeure familiale, les accompagnant dans toutes les pièces, mêmes les plus impudiques. Il faut alors sortir de l'appartement pour ne pas asphyxier, reprendre de l'air, permettre aux plans de s'étirer. Si ce fantôme est toujours présent, c'est que le deuil n'a toujours pas été accompli. La douleur est toujours vivace. Le deuil qui hante la famille est vectoriel, force à la fois centripète et centrifuge: lien unissant les différents membres et unique raison de leur réunion annuelle, il est aussi agent de dispersion car déclencheur d'amertume, rancœur ou enfermement. Il peut même engendrer une douce folie désespérée (la grand-mère qui croit retrouver son fils disparu dans un papillon de nuit), ou des actes d'une déchirante cruauté. Les émotions sont feutrées mais bien réelles. La famille est fondamentalement marquée de cette même ambivalence: si l'évolution passe par une émancipation totale de son carcan familial original, pour autant cette émancipation est illusoire. La marche continue du titre peut bien être une fuite en avant, elle se fait forcément main dans la main avec les ombres de nos anciens. Les morts unissent (et définissent) les vivants, comme les aïeux déteignent sur les descendants. (1) Ou, pour détourner une célèbre formule à collants bleus, les fils deviennent les pères et les pères, les fils.
(1) Les reprises gestuelles ou verbales sont révélatrices.
Ben Evans (D.W.: pas vu / B.E.: must see)