3h10 pour Yuma (3:10 to Yuma, Delmer Daves, 1957)
Nos pseudos ne sauraient mentir, voici l'Elu. Il nous fallait un film fétiche pour le blog, un film que nous adorons tous les deux, qui scellerait le départ de notre aventure, si possible un western, le genre qui nous berce depuis notre enfance. Ce sera 3h10 pour Yuma, et nous en sommes très fiers. D'une part parce qu'il le mérite. Et d'autre part parce qu'il le mérite. Chef-d'œuvre absolu, de ceux dont l'évidence et l'apparente simplicité éblouissent à chaque vision, 3h10 pour Yuma est l'œuvre de l'un des plus honnêtes artisans du genre, Delmer Daves. (1) La sortie du remake de James Mangold, en 2008, fut l'occasion d'un hommage posthume au réalisateur et à ses deux comédiens vedettes, Glenn Ford (papa Kent pour les plus jeunes) et Van Helfin (l'un des héros, avec Alan Ladd, de L'Homme des Vallées Perdues, LE western mythique par excellence, dans un rôle très similaire); ainsi qu'une remise en lumière de l'original. A l'inévitable jeu des comparaisons, une fois n'est pas coutume, le remake, en dépit de ses qualités, fait bien pâle figure. C'est évidemment dur de se confronter au plus beau sur-western du monde.
Car 3h10 pour Yuma, l'original, est bien un film d'une ineffable beauté. Sa réalisation non ostentatoire, mais limpide et évidente, ses travellings sensibles et ses cadres lumineux, en font à la fois le western américain le plus pur et le plus émouvant du cinéma (2); et sans aucun doute le western le plus classe et le plus élégant du monde. Dans le sillage de l'interprétation magnétique de Glenn Ford, au jeu et au charisme absolument inoubliables (3). Accompagnée de la sublime partition de George Duning et Ned Washington, la mise en scène racée de Delmer Daves trouve ici son plus bel accomplissement, accouchant notamment de l'une des plus belles scènes de séduction du cinéma (entre Glenn Ford et la sublime Felicia Farr). La photographie noir & blanc de Charles Lawton Jr sublime les scènes d'intérieur (bar, ferme et hôtel) comme jamais et marque durablement la rétine. Daves réduit l'action au strict minimum tout en réussissant à maintenir une tension psychologique permanente et grandissante (4), amenant également son récit vers une ambiguïté morale insoupçonnée. Le bandit est-il si détestable que cela? Alors que Dan Evans ne jure que par son idéal de justice (loi, parole donné, morale) et de responsabilité sociale (il fait ça pour subvenir aux besoins de sa famille), Ben Wade ne vit également que pour le sien, celui de la liberté. (5) Leurs perspectives sont juste différentes. Tout est affaire de culture, pourrait-t-on dire. "Je veux faire comprendre et comprendre c'est d'abord aimer", disait le réalisateur à propos de son western pro-indien. Noble dessein s'il en est. C'est encore on ne peut plus vrai ici. Peut-on en effet imaginer plus belle profession de foi en l'humain et en la possibilité d'une entente fraternelle et pacifique entre tous que ce 3h10 pour Yuma? Ne pas se renier mais s'ouvrir. Accepter, comprendre, estimer, aimer, c'est tout la même chose. Et c'est surtout tout ce qui compte pour lui. La pluie finale (6) scelle ce credo faussement naïf mais surtout réellement sincère et bouleversant. Qu'il soit entendu.
(1) Grand humaniste devant l'éternel, Delmer Daves fut officiellement catalogué en 1950, avec La Flèche Brisée, comme LE réalisateur anti-raciste d'Hollywood. Mais c'est bien 3h10 pour Yuma, film sur le courage, le respect, la compréhension, le devoir, l'estime, la fierté et la filiation, qui restera comme son film le plus bouleversant.
(2) Avec L'Homme Qui Tua Liberty Valance de John Ford
(3) Cela restera à jamais comme sa prestation la plus inoubliable. Devant celle dans l'un des chefs-d'œuvre noirs de Fritz Lang, "Règlements de Comptes"
(4) Qu'on ne s'y trompe pas, même si dans la suite de l'article je mets surtout en avant l'humanisme de l'oeuvre, 3h10 pour Yuma est aussi, et peut-être avant tout, un formidable suspense et un duel psychologique d'une force rare.
(5) Le hors-la-loi paraît même par moments plus convaincu du sien, tant le fermier est en proie au doute. D'ailleurs, ce dernier commence également cette aventure pour donner une bonne image de lui à ses enfants: il a besoin que ces derniers soient fiers de lui. Ben Wade n'a que faire de ces considérations, vivant uniquement dans l'instant. Ce qui ne l'empêche pas d'être aussi loyal avec ceux qui partagent sa route, ses hommes de main.
(6) La scène finale dégage une pureté et une candeur renversantes (un peu comme celle de L'Homme en Fuite de Don Siegel).
Ben Evans (D.W.: vital / B.E.: vital)