Le Bon, la Brute et le Cinglé (Joheunnom nabbeunnom isanghannom, Kim Jee-Woon, 2008)
On ne pourra pas reprocher à Kim Jee-Woon d'avancer masqué: le
titre déjà annonce avec fracas la relecture coréenne du western spaghetti
léonien (1): sadisme exacerbé, gueules patibulaires, mais presque, violence
sèche, argent et vengeance comme seuls objectifs, flashback partiels, gros
plans, clins d'oeil directs, superbe scope, les passerelles nombreuses entre
les deux oeuvres faciliteront sûrement l'accès pour les spectateurs
occidentaux. C'est pourtant sa sauce orientale qui permet au plat de gagner
toute sa saveur, pas tant pour le contexte (2) que pour sa vitalité
galvanisante et son inventivité de tous les instants. (3) La caméra, mobile,
intenable, expérimente tous les mouvements, toutes les folies, avec une
générosité jamais prise en défaut. Forcément, parfois, quelques scènes
pourraient paraître légèrement brouillonnes, mais chaque plan respire un tel
amour du cinéma, un tel plaisir d'en faire que ça en laisse baba. La scène
inaugurale du train, la fusillade centrale au marché et la course-poursuite
finale sont des merveilles. C'est simple, certaines scènes d'action, par leur
folie dévastatrice et leur rafraichissante furie, nous feraient presque croire
à du Tsui Hark. Ou à du film d'arts martiaux HK de la belle époque. Ce n'est
pas un petit compliment. Exit le néo-réalisme léonien, place à un cinéma
diapré, étourdissant et artisanal. Exit la noirceur de la botte, place au
burlesque est-asiatique. C'est potache, c'est hilarant. Toute la veine comique
de l'oeuvre, comme ses aspects les plus émouvants, est portée par le
génialissime Song Kang-Ho. La folie du film est la sienne. C'est à la fois
l'atout majeur et le principal défaut de l'oeuvre: Kim Jee-Woon n'est pas
vraiment un grand directeur d'acteurs. Jung Woo-Sung insipide, Lee Byung-Hun
plus charismatique que talentueux, sont totalement éclipsés par Song Kang-Ho,
qu'on parierait même excellent devant la caméra d'une chèvre. Sa finesse de jeu
est sans pareil, nous passant du rire aux larmes (3) avec un aplomb
déconcertant. Les fans de Park Chan-Wook et de Bong Joon-Ho le savaient déjà de
toute manière: à chaque apparition, on crierait au plus grand acteur du monde.
Rien que pour lui, le film est à ne pas manquer. On en oublierait presque la
fraîcheur, l'invention, la générosité. Tout n'est que plaisir.
(2) La Mandchourie des années 30.
(3) Le film souffrira d'ailleurs inévitablement de la comparaison lors de l'inévitable duel à trois final. On ne se frotte pas impunément à la Danse de la Mort.
(4) Dans un rôle voisin de ceux qu'il tient dans Memories of Murder et The Host.
Ben Evans (D.W.: must see / B.E.: must see)